samedi 13 juillet 2013

Clarisse et le singe en morceaux

 

















 Clarisse et le singe en morceaux est le cinquième volume des aventures de Côme Léonard.

                                               Le livre est illustré par Sophie Ainardi.



 

    
          SOMMAIRE
 
         I) Une semaine à Paris.
 
        II) Une soirée chez des amis.
 
       III) La nuit de la saint Parfait.
 
       IV) Une minute de silence.
 
        V) Un week-end à la campagne.
 
       VI) L’éternité avec Proust.
 
      VII) Un moment d’égarement.
 
     VIII) Un mauvais quart d’heure.
 
        IX) Une seconde d’inattention.
 
         X) Vingt-quatre heures en garde à vue.
 
        XI) Le jour d’avant.
 
       XII) L’instant de vérité.
 
      XIII) Le temps d’en finir.
 
1. Une semaine à Paris.
 
 
      Bottes à talons, jupe légère beige, tee-shirt aux multiples couleurs délavées, décolleté dans le dos.
     Jolie peau, parsemée de taches de rousseur. Jolies jambes. Jolis cheveux, soyeux, longs, libres, châtains, agrémentés de mèches blondes.
     Jolie fille.
     Elle fit escale à la devanture  d’une bijouterie et n’en bougea plus, faisant mine de détailler les bracelets de pacotille et les boucles d’oreilles fantaisie. Il arriva presque à sa hauteur et s’absorba dans la contemplation d’une collection de montres. Tous les prix, pléthore de marques : Diesel, Louis Pion, Tissot, Swatch...
     Chacun détaillait l’autre, son image par vitre interposée, ou l’original par de furtives œillades latérales....
 
 
... il éprouvait le sentiment du coureur qui n’a pas entendu le coup de pistolet. Qui est resté dans les starting-blocks, un genou au sol et les doigts sur la craie de la ligne de départ, tandis que tous les autres autour de lui, sa femme, sa fille, ses amis les plus proches, s’étaient soudainement détendus, élancés, mis à courir comme des dératés et ne seraient bientôt plus que des points à l’horizon.
     On se sent un peu con, immobile, dans les starting-blocks. Seul, la poussière retombée...
 
 
... Elle arrivait, s’arrêtait, se retournait une dernière fois.
     Toujours là. Sur ses talons.
     Il la dépassa sans un regard et disparut parmi les badauds.
     Clarisse grimaça : Côme, poète, pouvait s’émerveiller au spectacle d’une jolie fille, la suivre dans la rue, observer sa démarche chaloupée, la détailler, ne serait-ce que quelques minutes, cela suffisait à enchanter sa journée.
     Mais ce mec-là, non.
     Non, lui n'avait rien d'un poète.



 
                                                   2. Une soirée chez des amis.

 


Dix-sept heures.

     L’ascenseur s’immobilisa bruyamment au deuxième sous-sol. Clarisse s’était éclipsée plus tôt qu’à l’habitude afin de poursuivre ses palabres avec Côme. Elle pénétra dans le parking, se dirigeant sans hâte vers sa Mini noire, soucieuse mais sans vigilance. Ses pas résonnaient sur le sol. Arrivée à quelques mètres de la voiture elle aperçut un rectangle de papier bleu glissé sous l’essuie-glace, côté conducteur et sentit aussitôt, sans bien savoir pourquoi, la peur revenir en elle.

     « Allons, voyons, une pub… »

     Une pub ? Regard circulaire : l’affichette n’encombrait le pare-brise d’aucune autre voiture.

     Elle posa sa main contre sa nuque, glissa ses doigts crispés dans ses cheveux, resta un instant indécise. Puis se lança, bondit jusqu’à la Mini, déverrouilla les portes d’un clic et dans le même geste rapide saisit le rectangle de papier de la main gauche, ouvrit la portière de la main droite et virevoltant prit place au volant. Elle eut le réflexe féminin de pédaler, jambe gauche jambe droite jambe gauche, tandis qu’elle tirait sur sa jupe, remontée dans son mouvement précipité jusqu’en haut des cuisses, en même temps qu’elle tournait la clé de contact.

     <<Grouille !>>
     Moteur.
     <<Grouille, ma fille, grouille !>>

     Le clang rassurant du verrouillage des portes :  protégée ?
     Ou piégée ?

     Parcourue d’un frisson soudain, elle se retourna brusquement pour constater avec soulagement, que personne ne se cachait, allongé derrière elle, dissimulé par la banquette…
     Elle avala un bon bol d’air, expira, démarra. Ses pneus crissèrent sur le sol peint et luisant de l’interminable colimaçon qui la remontait vers la surface. Au rez-de-chaussée, devant la barrière, elle baissa sa vitre le moins possible, introduisit son ticket dans la fente…

     « Vite ! »
     — Merci de votre visite, répondit la machine, après avoir avalé le carton.
     « Plus vite ! »

     La barrière se leva, elle la franchit, libre !

     Sauvée, presque euphorique. La Mini filait sur la chaussée humide,  il avait encore plu dans l’après-midi.
     Clarisse retourna le papier qu’elle tripotait entre ses doigts pour y découvrir un texte imprimé :


      Capturée, il l’emmena dans sa tanière, au cœur du pays natal. En devenant pour un temps tout à la fois la plus douce et la plus passionnée des amantes, elle retarda sensiblement l’échéance. En récompense, lorsque l’heure du châtiment fut venue, il lui accorda de choisir elle–même son supplice….

                                                                                                                             Horst.

 

     Elle eut un haut-le-cœur.
     « Un détraqué, voilà ce qu’il est. »
     Horst ? Oui, ce mec avait bien une tête à s’appeler Horst. Allemand, peut-être.
     « Aïe aïe aïe ! Ce malade connaît ma voiture, il est venu dans mon parking… »
     Pire : peut-être se trouvait-il encore là, lorsqu’elle était arrivée. Peut-être l’observait-il, dissimulé dans l’ombre, tandis qu’elle démarrait…
      Surtout, ne pas s’affoler. Rester calme et sereine, à la maison ne rien montrer à Côme de son désarroi.
     Rappeler Aimé. De suite.
     Clarisse saisit son portable et le porta à son oreille.

     — Bolduc, fit la voix si calme, grave et rassurante du commissaire.
     — Aimé, c’est Clarisse. Je… J’ai…

     Feu rouge. Plus rapide qu’à l’ordinaire, elle dut freiner plus fort, la Mini glissa, mordit sur les bandes blanches du passage piéton avant de s’arrêter.

     — Aimé, j’ai de nouveaux ennuis…

     Une ombre apparut, frappa brutalement trois coups à la vitre, elle sursauta, poussa un cri.
     Ce n’était qu’un policier, qui, après l’avoir courtoisement saluée, lui fit, d’un moulinet de la main, signe de baisser sa vitre. Elle s’exécuta.

     — Vous savez qu’il est interdit de tél…
     — Commissaire, s’écria-t-elle, je vous passe quelqu’un !

     Et, nerveuse, elle fourra le téléphone dans la main du flic.

                                                              *

 
On sabra le champagne. C’était la tradition, Aimé décapitait les bouteilles à l’aide d’une navaja, pièce à conviction illégalement confisquée d’une horrifique enquête, remplie de sang et de têtes tranchées, au cours de laquelle il avait perdu un homme et sauvé in extremis sa propre vie en abattant le tueur, surnommé le boucher des Buttes-Chaumont. Prise de guerre, la navaja d’Aimé ne tranchait plus désormais que les cols de verre.